Le 9/11, nous quittons Luang Prabang pour Vang Vieng, idéalement située sur la route du Sud, à mi-chemin vers Ventiane, la capitale. Nous avons opté pour un minibus et avons la chance d’être les premiers à embarquer et de pouvoir choisir nos places. Six à sept heures de routes de montagne, sinueuses et réputées dangereuses. Nous croisons d’ailleurs rapidement un accident, une voiture de police dans le ravin… Il pleut, il fait froid, c’est notre premier jour de mauvais temps depuis le début du voyage. De temps à autre, un village, quelques maisons en bambou sur pilotis, toit de chaume, des enfants qui courent pieds nus, des cochons, des buffles et des poulets qui se promènent au bord de la route…
Vang Vieng n’est, pour beaucoup, qu’un concentré de bars attirant principalement Anglais et Australiens se promenant ventre à l’air, sans considération pour les Laotiens qui les accueillent, ou passant leurs journées à boire, affalés devant des écrans de télévision qui diffusent en boucle des dessins animés ou des feuilletons américains. Ce n’est évidemment pas notre tasse de thé. Mais il suffit de traverser le pont au-dessus de la Nam Song pour découvrir un autre Vang Vieng, le Laos dans toute sa ruralité… Il n’y a que deux guesthouses de ce côté-là, nous nous installons à la Maylin dans deux cabanes sur pilotis au bord d’un ruisseau, affluent de la Nam Song. A 7 USD le bungalow, c’est évidemment très rustique, juste un lit et une moustiquaire, une douche avec eau froide, mais l’emplacement est magnifique. De notre bungalow, nous pouvons voir des enfants jouer tout nus dans la rivière, et plus loin, un homme s’y laver.
Nous allons nous promener le long de la Nam Song et croisons une dizaine d’enfants laotiens, jouant à la balle. Bruno et les enfants se joignent à eux et le courant passe rapidement. Ils connaissent les mêmes jeux… Après un quart d’heure, certains d’entre eux plongent dans la rivière, Thibault et Damien les suivent. Ils nagent ensemble, s’éclaboussent,… la langue n’est plus un obstacle.
Nous faisons la connaissance de Noé, un Français qui a ouvert « Mango », l’autre GH. Il est installé au Laos depuis quelques années, et a épousé Mango, une Laotienne. Un étranger, à moins de disposer de 200.000 euros et d’être dans ce cas considéré comme un investisseur, ne peut pas être propriétaire. La GH est donc au nom de Mango, et advienne que pourra si le couple se sépare… Mango n’avait pas de famille quand ils se sont rencontrés, ce qui a facilité le mariage, car épouser un étranger reste compliqué. Il y avait beaucoup de villageois à la cérémonie, preuve de l’intégration de Noé, et comme chez nous, il y a des cadeaux. Mais ici, les enveloppes sont ouvertes en public et le nom du donateur, ainsi que le montant du cadeau sont annoncés. Bonjour la discrétion… Ce système pousse évidemment à la surenchère puisqu’on a intérêt à étaler sa richesse si on veut bien marier ses propres enfants…
Vang Vieng est située au cœur d’une splendide région karstique et de grottes inexplorées, et l’idéal pour la découvrir serait de la sillonner en scooter. Mais, malgré les protestations de Bruno, je n’ose pas me lancer dans la conduite de l’engin. Par bonheur, Noé possède une ancienne jeep décapotable de l’armée américaine, une 4x4, indispensable pour emprunter les routes caillouteuses et leurs profondes ornières. Il nous propose une boucle d’une journée, nous sautons sur l’occasion… Nous passons à travers quelques villages hmongs. Les Hmongs, venus de Chine, s’intègrent difficilement aux Laotiens, ils se marient entr’eux, parlent leur propre dialecte, ce qui exclut leurs enfants de l’école. De tempérament plus agressif et guerrier, ils ont été choisis et entraînés secrètement par la CIA dans les années 60, dans le cadre de leur lutte contre le communisme en Asie du Sud-Est. Ceci leur vaut une certaine animosité de la part des Laotiens, d’autant que nombre de Hmongs se sont, par la suite, réfugiés aux USA et ont sans doute, dans l’esprit des locaux, mieux réussi qu’eux…
Nous nous arrêtons dans une rizière, observons les paysans récolter le riz arrivé à maturité. Bruno et Damien empruntent un couteau et coupent consciencieusement quelques épis , au grand amusement de l’assemblée.
Nous visitons Tham Phu Kham, une magnifique grotte. La grande salle, renfermant un boudha couché en bronze, est éclairée mais Noé nous entraîne ensuite dans des galeries plus profondes. Nous avons heureusement pensé à emporter nos lampes frontales… Après la grotte, une baignade rafraîchissante dans le « Lagon bleu » : la rivière s’y élargit et prend une belle couleur turquoise. Des lianes permettent aux enfants de jouer à Tarzan. Nous continuons la boucle à travers la campagne, les villages avec leurs maisons sur pilotis, les enfants qui nous hèlent (« Sabaidee »), les buffles et les cochons au milieu de la route, les poulets qui courent partout. En fin de journée, c’est le retour de l’école ou des champs. A moto, à vélo ou en « buffalo mécanique », un motoculteur auquel est attaché un attelage dans lequel peuvent s’entasser une bonne dizaine de personnes…
Le lendemain, nous décidons de descendre la Nam Song en kayak. Notre jeune guide prend les enfants tandis que Bruno et moi pagayerons ensemble. La descente est magnifique et la première partie est paisible, on n’entend que les oiseaux… Nous avons même droit à quelques petits rapides (rien à voir cependant avec ce qu’ils doivent être à la saison des pluies). Après une bonne heure de descente apparaissent les premiers bars. Ils se succèdent les uns après les autres, avec la musique à plein tube, la bière et le whisky qui coulent à flots. Après chaque verre, les buveurs reçoivent un cachet sur le corps (certains finissent la journée complètement tatoués), avant de se laisser descendre sur la rivière en chambre à air… Quelle triste image des touristes ils véhiculent... Au retour, Bruno loue une moto et apprend aux enfants les rudiments de la conduite. Ils se voient déjà parcourir l’Inde à moto dans quelques années. En tout cas, Damien a d’ores et déjà contracté le virus du voyage : il veut toujours être cuisinier, mais sur un bateau en faisant le tour du monde…
Nous continuons notre route vers le sud, et réservons notre voyage vers Paksé : 3-4 heures de minibus vers Ventiane, où nous ne passerons que l’après-midi, avant de prendre un bus de nuit vers Paksé. Quelle que soit l’agence à laquelle on s’adresse, on paie le même prix. Il n’y a pas de bus 1ère , 2ème ou 3ème classe. Et pourtant, arrivés à la gare des bus, on constate qu’il y a des bus clinquants et des bus pourris. Nous avons droit à un bus pourri, il doit avoir une vingtaine d’années à en juger l’état de la carrosserie… La soute est déjà pleine de sacs de riz, remplis de vivres ou de vêtements des locaux. Il n’y a plus de place pour nos valises. Une américaine monte dans le bus sans se préoccuper de la sienne, espérant qu’un fonctionnaire avisé va régler le problème. A l’arrivée, elle aura la mauvaise surprise de constater qu’elle est restée sur le parking… Nous sommes heureusement plus vigilants et parvenons à caser nos valises dans l’habitacle du bus. Les bus de nuit sont des bus couchettes, une couchette faisant 1 mètre de large. Le problème est qu’elles sont prévues pour deux personnes. Voyager en famille est l’idéal dans ce cas : nous partageons chacun une couchette avec un enfant. Mais Evelyne, une allemande avec laquelle nous avons sympathisé , voyage seule et se voit obligée de partager sa couchette avec une inconnue. Elle rouspète, disant qu’on ne l’a pas prévenue, mais rien à faire… Sa voisine a heureusement le format lao, petite et menue. Par contre, l’américaine n’a d’autres choix que de partager sa couchette avec un homme ou de payer une deuxième couchette, ce qu’elle fera finalement. Au final, elle paiera le prix d’un billet d’avion, pour un long voyage, inconfortable avec perte de bagage en sus… Nous roulons donc de nuit, sur des routes cahoteuses, mais parvenons plus ou moins à fermer l’œil, malgré les secousses et les coups de klaxon incessants du chauffeur…
Arrivés à Paksé à 6 heures du matin, nous décidons de louer une voiture avec chauffeur pour nous emmener sur le plateau des Boloven, au nord-est de la province, où nous resterons quelques nuits. Evelyne nous accompagne, ce qui permet de partager les frais. En route, nous allons voir les chutes de Tat Fan et de Tat Yuang et nous arrêtons au marché de Paksong pour acheter quelques beignets et des cahiers pour les enfants. Plus loin, sur la route, une école attire notre attention. Les enfants, en uniforme, sont rassemblés dans la cour, dans l’attente d’un évènement. Nous nous y arrêtons. Un minibus arrive, avec une délégation de Belges. Ils sponsorisent l’école et les élèves ont préparé des danses et des chants en guise de bienvenue et de remerciement. En face, le village de Kokphungtai, un village de minorité katu. Moyennant une petite rétribution destinée à contribuer à son développement, nous pouvons le visiter en compagnie d’un guide qui parle anglais. Les katus, animistes, sculptent leurs cercueils de leur vivant et les entreposent sous leur maison. Celles-ci, en palmes et en chaume, sont disposées en cercle autour d’une place où jouent les enfants. Les maisons sont évidemment très sommaires, mais beaucoup ont une antenne parabolique, souvent offerte à la famille en guise de dot…Le nombre d’enfants dans ce village est impressionnant : un couple a entre 8 et 12 enfants. Les fils, une fois mariés, restant avec leurs parents, 60 à 70 personnes peuvent donc vivre sous le même toit, toutes générations confondues. Les mariages sont arrangés depuis l’âge de 8-9 ans. Mais ce qui choque surtout ici, c’est l’état des enfants : pieds nus, sales, les vêtements déchirés. Ils ne vont pas à l’école puisqu’une fois de plus, ils ne parlent pas le Laotien. Et puis, dès l’âge de 3-4 ans, ils sont initiés à la pipe à eau, faite ici d’un tube de bambou creux. Ils fument du tabac, plusieurs fois par jour selon notre guide. Inutile de lui expliquer les dangers du tabac, s’ils sont malades, c’est à cause des esprits… Il n’empêche, j’ai du mal à comprendre : d’une part, cette école « modèle », la petite bibliothèque pour enfants à l’entrée du village, le droit d’entrée qu’on paie officiellement contre un ticket ; d’autre part, ces enfants dont personne ne semble se préoccuper… Dommage que nous n’ayons pas eu l’occasion de rencontrer un des sponsors belges… Une chose est sûre, c’est que nos enfants commencent à réaliser la chance d’être nés au bon endroit, au bon moment…
Avant de nous quitter, notre chauffeur nous dépose à Tat Lo, où nous trouvons une petite chambre à la Tim Guesthouse. Il n’y a qu’un grand lit et un petit lit, il va falloir se serrer, mais après le bus de nuit, on commence à prendre le pli. Le gérant, un Laotien d’une cinquantaine d’années, parle très bien le Français et a mis sur pied des cours d’informatique et d’anglais pour les adolescents, qui rencontrent un vif succès. La GH est en plein village, et les réveils sont matinaux dans la campagne laotienne : les premiers coqs commencent à chanter vers 3 heures du matin, avant que les autres n’enchaînent, puis c’est la musique au temple, tonitruante, le village s’anime… Vers 7 heures, quand on se décide à se lever, tout est redevenu calme… L’endroit est connu pour ses cascades. A celle de Tat Lo, nous avons l’occasion de voir des éléphants se baigner avec leur mahout, c’est toujours un spectacle qui nous enchante… Mais la cascade la plus spectaculaire se trouve à une dizaine de km de la ville. Après quelques centaines de mètres à travers la forêt, nous tombons sur le bain public. Les enfants se baignent tout nus dans la rivière, les femmes entrent dans l’eau couvertes de leur sarong, enlèvent et lavent leurs sous-vêtements en toute discrétion et ressortent de l’eau, toujours en sarong, pimpantes… Bruno et les enfants vont se baigner tandis que je reste sur la rive pour garder notre sac. Des enfants, curieux, se rassemblent autour de moi. La conversation est vite épuisée ( !) et je me sens mal à l’aise, d’autant plus que deux gamins regardent avec insistance les tongs des enfants, leurs T-shirts, la montre de Damien… Je n’ai même pas une banane à leur offrir et je n’aime pas encourager la mendicité chez les enfants en leur donnant de l’argent. Bruno et les enfants finissent enfin par sortir de l’eau et nous continuons notre balade. Après quelques hésitations, nous arrivons à proximité de la cascade. Des enfants se baignent, et un gamin de 6-7 ans nous invite à le suivre. Il nous entraîne dans les rochers, il est d’une agilité incroyable. Nous arrivons sur un grand rocher qui surplombe un bassin à 4-5 mètres de hauteur. Le gamin n’hésite pas et plonge. Les nôtres, qui ne veulent pas se dégonfler devant lui, le suivent… Bruno part avec Thibault voir la cascade de plus près, tandis que le gamin essaie de m’expliquer par de grands gestes que c’est dangereux. Il est drôle, expressif, téméraire et négocie comme un chef son dû pour la guidance. Un petit bonhomme que nous ne sommes pas prêts d’oublier… Vu l’heure tardive, nous décidons de rentrer par la route et sommes pris en stop par deux Laotiens bien sympas.
Après Tat Lo, nous reprenons un bus local pour Paksé, puis un tuk-tuk pour Champasak, de l’autre côté du fleuve. Nous logeons à l’Anouxa GH, donnant sur le Mékong, nous nous prélassons dans les hamacs en observant la vie du fleuve. Nous visitons le Vat Phu Champasak, un ancien sanctuaire khmer de la période d’Angkor. Le site est magnifique, mais une partie du temple est en restauration.
Nous continuons vers Kiet Ngong, en pirogue puis en sawngthaew (un pick-up auquel on a ajouté deux bancs pour le transport de passagers). Nous avons réservé une nuit au Kingfischer Eco-lodge, situé dans la réserve naturelle de Se Pian, en bordure d’un marais. La route n’est pas asphaltée, nous avalons la poussière… Notre bungalow en bambou, sur pilotis, donne sur le marais. Pendant que les enfants travaillent, Bruno et moi allons nous balader et assistons au retour des éléphants au village. Le lendemain matin, nous nous levons à 5 heures pour ne pas manquer le lever du soleil. Il fait complètement noir, les oiseaux s’en donnent à cœur joie, instant magique…Nous attendons patiemment le lever du soleil, magnifique sur le marais, puis voyons arriver la harde de buffles qui l’habite. Ils sont près d’une centaine, et dans la brume matinale, c’est un spectacle mémorable...
Notre dernière étape au Laos, avant de joindre le Cambodge, est Don Khon, une des « 4000 îles ». Ce superbe archipel s’étire sur 50 km au milieu du Mékong. Pendant la saison des pluies, le fleuve atteint à cet endroit 14 km de largeur, mais en saison sèche, il rétrécit et fait apparaître des milliers d’îlots, monticules plantés d’arbres ou de buissons. On atteint Don Khon, une des trois principales îles, en pirogue. A part quelques guesthouses à proximité du débarcadère, l’île compte quelques villages où le temps semble s’être arrêté. Nous optons pour une guesthouse familiale, où nous rejoint une famille d’Avignon à qui nous avons fixé rendez-vous. Ce n’est pas le grand luxe, je suspecte même un rongeur de nous avoir rendu visite (pendant notre absence heureusement) puisque je retrouve mon tube de crème de nuit coincé dans le conditionnement d’air ( ?), mais nos chambres donnent sur la cour où jouent les enfants, les nôtres et ceux de la GH. Le matin, dès 5 heures, ce sont des cris, des pleurs, des rires, des bruits de casserole… Nous passons là quatre jours, à sillonner l’île à vélo (on en fait le tour en quelques heures), voir les chutes de Li Phi, se baigner dans le Mékong et faire travailler les enfants.
Nous visitons également une petite école : une seule classe, avec une quarantaine d’enfants. Une partie des enfants tournent le dos au tableau, ils sont sans doute censés faire quelque chose, mais la plupart n’ont ni cahiers, ni bics. Les autres enfants passent à tour de rôle au tableau pour lire ce qui y est inscrit, et leurs condisciples répètent comme des perroquets. Pendant ce temps, le professeur est passif. Je lui remets les livres que j’ai achetés à Luang Prabang. Ce sont des livres bilingues laotien-anglais, destinés à promouvoir la lecture chez les enfants. Mais le professeur parle à peine l’anglais et j’ai la vague impression que ces livres vont finir dans une armoire ou sur le marché. Je regrette aussitôt de ne pas les avoir gardés pour la petite fille de notre GH qui se débrouille en anglais et sert le petit déjeuner aux clients avant de partir à l’école…
Le 24/11, nous réservons, pour le lendemain, un bus VIP (aux normes du Laos bien sûr) qui doit nous amener à Ban Lung, dans le Ratanakiri, dans le Nord-Est Cambodge.